Tout va beaucoup trop vite, pour Belgrade. Avant qu’elle ait le temps de filer, Tango l’a attrapée et tirée avec elle. Incapable de résister efficacement, la slave subit en silence, la jeune femme de Castelobruxo ne semblant pas remarquer son absence de consentement... Et à ce contact inconnu, impromptu, la panique ne fait que grandir, encore et encore. Certains l’ont déjà vu réagir avec violence au touché inattendu d’un ou d’une camarade ; elle y répondait toujours par un mouvement de recul, par une gifle, ou pour les plus envahissants, par un sortilège offensif. Pourtant, Belgrade ne fait rien de tel. La réserve est certes gouvernée par un silence bienvenu, mais dans la balance, le comportement de Tango pèse trop lourd pour que le calme lui revienne. Elle cherche l’air, lutte pour qu’il pénètre ses poumons, et se trouve incapable de réagir. Ses doigts voudraient fouiller les plis de sa robe à la recherche de sa baguette, sûrement pour comettre un acte qu’elle ne manquerait pas de regretter, mais elle est trop tétanisée pour faire quoi que ce soit d’autre que de fixer Tango. Que cherche-t-elle, que fait-elle, pourquoi l’entraîner ici ? Impossible pour la slave de lui prêter des intentions bienveillantes, dans ces circonstances. Quand la latino lui saisit les mains pour y placer un objet, Belgrade sursaute et tente de reculer, de retirer ses doigts d’entre ceux de la jeune femme, à la peau pourtant si douce. L’amulette tombe, sans qu’elle n’ait vraiment l’intention de l’abîmer ou de s’en débarrasser. Yeux écarquillés, son esprit reste sourd aux paroles se voulant amicales, et l’arrivée de Pollux n’aide pas vraiment. Gestes maladroits s’agitent enfin, alors qu’elle cherche le morceau de bois familier dans le tissu. S’il le fallait, elle se frayerait un chemin à travers ses deux sauveurs et la foule... par n’importe quel moyen.
Viens Belgrade, on va prendre un peu l’air, d’accord ?
La main s’est refermée sur la baguette. Un instant, Pollux parvient à accrocher son regard, ses mots l’atteignant brièvement. Prendre l’air. Elle finit par opiner avec hésitation et se laisse emmener, notant à peine toutes les précautions que prend le garçon pour éviter qu’on la remarque. Pourquoi lui venir en aide de la sorte ? Elle ne comprend toujours pas.
Enfin, l’extérieur. Enfin, seule, ou presque. Un soupire de soulagement quitte ses lippes alors qu’elle consent à s’assoir avec lui. Elle risque de salir sa robe, mais ces choses là n’ont pas tant d’importance à ses yeux, contrairement à ce qu’elle voudrait faire croire. Sa respiration s’est enfin calmée, et doucement, elle se libère de l’étau d’angoisse qui l’étouffait. Elle ne sait pas quoi dire à Pollux. Prenant le verre qu’il lui tend, elle ne peut s’empêcher d’en renifler le contenu avec méfiance. Qui sait ce que certains élèves étaient capables de glisser dans les verres des autres. Elle en prend une gorgée avec un nouveau soupire.
Ses yeux se posent sur la plaquette de chocolat qu’il a posé entre eux. Brève hésitation, avant qu’elle ne tende les doigts pour en prendre un morceau. Dent sucrée, Bel ? Peut-être un tantinet.
Comme toujours, elle cherche les mots. Pardon ? Merci ? Une part d’elle veut le chasser sans douceur, cette part qui aurait attaqué Tango, qui d’ailleurs n’aurait jamais mis les pieds ici si elle s’était écoutée. Le silence s’éternise, alors qu’elle ramène ses genoux contre elle et prend le temps de retrouver sa contenance. Elle sait très bien pourquoi elle a craqué. Trop de choses à la fois, trop de peurs se réalisant. Trop de pression, jamais relâchée, car c’est ainsi qu’elle fonctionne ; tout doit rester à l’intérieur jusqu’au dernier instant. Mais peut-être que si elle était restée seule, si elle avait refusé à un certain anglais de l’approcher, rien de tout ceci ne serait arrivé. Elle aurait gardé le contrôle jusqu’au bout, son coeur endurci lui évitant de se soucier du dégoût et du mépris qu’on lui avait porté ce soir.