Semaine 3, samedi. Tu as croisé son regard mêlés à ceux des autres de la délégation. Tu t’es dit qu’elle te faisait penser à elle. T’as croisé son sourire et tu t’es dit qu’elle lui ressemblait. Et puis tu t’es assise, parmi les tiens à table, premier repas dans l’Astronef. Et tu l’as regardé. Longuement, autant que tu le pouvais sans être prise la main dans le sac. Il ne pouvait y avoir de doute. Les taches de rousseurs semblables aux tiennes qui inondent son nez. Ce nez en trompette. Ses lèvres pulpeuses, la supérieure qui remonte peut-être un peu trop. Son visage poupin trop innocent mais pourtant. Le doute n’était pas permis mais … Dix ans. Il y avait dix ans, de néant, et tu ne pouvais te rendre à l’évidence. Tout à coup, elle a ri. Et c’est là que tu as su. A la sonorité sauvageonne de sa voix, et plus que, au tien, de sourire, qui s’étalait en écho au sien. Personne ne te faisait sourire pour un rien. Sauf elle.
Fin du repas et Che Guevara vous sollicite aussitôt. Vous, ses brebis, toi et quelques autres plus spécifiquement, tu sens son regard traîner sur vous. Elle veille au grain. Tu obtempères, tu n’as rien à faire de mieux. Direction les étables alors, avec ceux de ta délégation, pour mettre un peu d’ordre dans les étables. Tu as bien compris que c’était son truc, à ta directrice. Elle et son obsession pour la création d’un poney club. Et non, tu n’iras pas, malgré son insistance. T’as rien contre les bêtes, mais t’as pas envie de grimper dessus. Au milieu du foin, des excréments et du matériel équestre, ton continues de ruminer son visage. Celui d’avant, celui de maintenant. Tu relèves la tête et son profil qui passe devant tes yeux te frappe encore. Tu abandonnes les brides que tu essayes de démêler et tu la suis. Un regard par-dessus ton épaule pour veiller à l’inattention des autres.
Semaine 3, samedi. Une pirouette brusque, inattendue. Tu entrouvres les lèvres comme pour laisser échapper un cri de surprise mais rien ne sort. Son coupé par un souvenir. Par les odeurs de chez vous, la chaleur de votre soleil, et pendant une fraction de seconde l'agitation dans vos ruelles. Des rires d'enfants viennent même tes siffler à tes oreilles, les vôtres, fantomatiques. La paroi de l'enclos contre ton dos te rappelle au réel, et à maintenant. Souffle coupé, tu plonges dans le regard de celle que tu devras maintenant appeler Tango. "Alo bèl mwen... Je t'ai manquée ?" Lèvres pincées entre tes dents, tu luttes pour tenir debout, aspirée et écrasée par le ressac de tes émotions. Alors tu t'accroches à ses vêtements dans un réflexe de survie. « T’es bien là … » Tu souffles contre ses lippes. Ta voix peine à s’élever, trachée compressée par les carotides palpitantes. Tu refermes tes bras autour d’elle, ton visage se réfugie dans son cou. Tes épaules tremblent mais tu t’interdis de pleurer. T’as pas le droit. Encore moins devant elle. Tes mains remontent fébrilement vers son visage. Tu attrapes sa nuque, sa mâchoire, et tu l’embrasses. Ses joues, son front, ses paupières. « Tu m’as manquée. Tu m’as tellement manquée ... » Tes lèvres toujours sur sa peau, te réapprends son odeur, et le salé solaire de son épiderme. Et tu souris, bêtement, de toutes tes dents et de toute ton âme. Seule. Tu étais tellement seule. Tu l’as toujours été, et elle est le seule remède à ta solitude.